Rencontre avec Sacha Zilberfarb : traducteur de la Topographie

   

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Si vous suivez ce blog depuis quelques semaines au moins, la Topographie anecdotée du hasard doit vous être familière (si ce n’est pas encore le cas, vous trouverez tout ce qu’il faut savoir sur cet ouvrage dans cet article). Ce 4 mai dernier, nous avons eu le plaisir de rencontrer Sacha Zilberfarb, l’un des deux traducteurs de la toute dernière édition de la Topographie, parue en 2016 chez Le Nouvel Attila. C’est dans une petite salle de la Faculté des Lettres que nous avons pu interviewer Sacha, après plusieurs semaines d’échanges. Dans cet article, vous pourrez lire quelques extraits de cette interview inédite et surtout, trouver le lien pour visionner la rencontre dans son intégralité sur Youtube.

Pour commencer, laissons Sacha se présenter et évoquer ses premiers pas dans la traduction.

« J’ai commencé la traduction par hasard, comme beaucoup de traducteurs, parce que je n’ai pas du tout fait d’études de traduction, d’autant qu’à l’époque, ça n’existait pas vraiment. J’étais inscrit en DEA (diplôme d’études approfondies), j’avais 25 ans et j’ai été contacté par une personne que je connaissais vaguement – qui était psychanalyste – qui se chargeait de l’édition d’un texte de Helene Deutsch – une élève disciple de Freud – et qui avait une traduction entre les mains qui ne la satisfaisait pas du tout. Elle m’a demandé, puisque j’étais germaniste, de la regarder pour la corriger. C’est comme ça que j’ai découvert la traduction, par hasard, en travaillant avec cette dame, en ne me contentant pas de faire une petite traduction en marge mais en reprenant complètement le texte. À ce moment là, je me suis dit que c’était vraiment le métier que j’avais envie de faire. »

Pour quelles raisons avez-vous eu envie de vous lancer dans la traduction de la Topographie anecdotée du hasard de Daniel Spoerri ?

C’est la curiosité pour un monde dans lequel je sais que je vais me plonger longtemps. Pour moi c’est une manière de poursuivre mes études, c’est toujours un apprentissage. Je connais toujours plus ou moins les domaines que je traduis, mais chaque nouvel ouvrage va me demander de lire, de me plonger dans un univers particulier – ici un univers très particulier – et je savais que ça allait être une aventure à plusieurs puisqu’on m’a tout de suite dit qu’on serait deux traducteurs – le traducteur de l’anglais et moi – plus Benoît (Benoît Virot est le fondateur des éditions Le Nouvel Attila) qui participe très activement aux élaborations des livres en tant qu’éditeur (…) donc c’est aussi une manière de traduire en collectif, alors que la traduction est un métier très solitaire, ce qui ne me dérange pas, mais j’aime bien quand ce côté solitaire peut se combiner avec des moments de mise en commun et de discussion (…).

Vous avez traduit différents types de textes tout au long de votre carrière… en quoi la traduction de la Topographie anecdotée du hasard a-t-elle pu se démarquer de vos traductions précédentes ?

Je pense qu’elle s’en est démarquée parce que c’est la première fois que j’ai eu affaire à de la traduction à contraintes. C’est comme si j’étais un traducteur étranger qui se mettrait à traduire du Perec ou du Queneau par exemple, et je n’avais jamais touché ce genre de texte. Jusque là j’avais traduit des textes sérieux de sciences humaines qui posaient des problèmes de terminologie et de cohérence lexicale énormes, j’ai traduit aussi des romans, notamment les les livres de Hilsenrath qui posaient des problèmes de tons puisque ce sont des romans qui ont une tonalité assez farcesque dans leur dialogue (…) mais jusqu’ici je n’avais jamais traduit du jeu littéraire, et il y a en grande partie cette dimension là dans ce texte. Ça me plaisait énormément parce que par ailleurs, j’aime beaucoup les jeux littéraires, je suis un grand amateur de mots croisés. Placer les lettres… tous ces genres de jeux m’amusent et me détendent. C’est vrai que ça pouvait faire peur à certains moments avec un certain nombre de textes, notamment les textes de Dieter Roth (…) parce que Dieter Roth, c’est vraiment quelqu’un qui joue sur la matérialité de la langue tout le temps avec les étymologies, qui fait des calembours tout le temps, donc il fallait se débrouiller pour trouver des solutions et ça m’amusait, c’était une chose que je n’avais jamais faite.

La Topographie est un ouvrage très particulier. Pensez-vous avoir surpassé votre rôle de traducteur comme a pu le faire Emmet Williams à l’époque où il l’a traduite en anglais ?

Tout dépend de ce que l’on entend par « surpasser » (…). Deux choses : dans le travail de traduction, oui j’ai surpassé au sens où parfois, j’ai fait plus que traduire – je l’ai adapté, j’ai ajouté du jeu là où il y en avait – et j’ai surpassé mon travail de traducteur mais dans mon rôle de traducteur (…). L’adaptation, les changements profonds d’un texte, c’est une partie du travail de traduction, surtout quand le texte original l’appelle (…). Obéir à la demande du texte c’était : se donner la plus grande liberté possible dans la traduction ; sinon, si on est au ras du texte, au fond, on est pas loyal envers le texte parce que le texte lui, joue sur la grande liberté. En fait, ce qui est intéressant c’est que quand on traduit, on ne traduit pas seulement les mots et même, on traduit essentiellement autre chose que des mots, on traduit le geste du texte (…). Un texte est un jeu, il faut repérer quelles sont les quelques règles du jeu qui fonctionnent dans le texte et il faut traduire ces règles des jeux par ses propres règles du jeu (…). Après, j’ai outrepassé mon rôle stricte de traducteur en travaillant à l’édition (…) et en faisant un énorme travail de relecture car dans ce genre de texte il y a très souvent des incohérences – dans les appels de notes – et il faut tout vérifier, c’est un travail que j’aime beaucoup faire.

Au moment où je suis tombé sur le texte, j’ai poussé un cri de joie dans la bibliothèque!

Extrait de l’interview avec Sacha Zilberfarb

Pour aller plus loin et pour en apprendre plus sur l’expérience de traduction de Sacha Zilberfarb avec la Topographie, visionnez la vidéo en cliquant ici. Vous y trouverez plus d’anecdotes et vous apprendrez notamment comment notre traducteur a relevé le défi de traduire un palindrome, « l’une des traductions les moins rentables de l’histoire de la traduction », mais qui en valait la peine !

Nous remercions encore une fois Sacha de nous avoir accordé cette précieuse et riche rencontre.

Louise Pelletier & Solène Epaillard

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