Interview de Bleuenn Guillou, éditrice indépendante

   

Ecrit par :

Ecrit en collaboration avec Morane Gaërel.

L’année dernière, dans le cadre de notre cours de sociologie de la culture et des publics, nous devions interviewer un professionnel de la culture afin d’en savoir plus sur son parcours. Notre choix s’est porté sur Bleuenn Guillou, éditrice indépendante.

Bonjour Bleuenn Guillou, tout d’abord merci d’avoir accepté cette interview. 

Bleuenn, vous êtes une jeune éditrice indépendante spécialisée dans la littérature imaginaire Young Adult. Vous êtes également à la direction des collections jeunesse des Éditions Leha et des Éditions Mnémos. Larousse Jeunesse vous confie également des corrections orthographiques et typographiques. 

L’édition indépendante n’est pas forcément la voie que les éditeurs en devenir empruntent, car il s’agit d’un sujet peu abordé quand on parle des métiers de l’édition. C’est pour cela que nous vous interviewons aujourd’hui. Nous souhaiterions en savoir plus sur votre parcours et partager cette expérience avec nos lecteurs, qui pour certains sont des étudiants en Master MEGEN intéressés par les métiers du livre.

Pouvez-vous nous expliquer votre métier d’éditrice? 
Le cœur du métier de l’éditeur, ce sont les manuscrits et les corrections éditoriales. Donc l’amélioration des textes que l’on signe, afin de les rendre les plus aboutis possibles pour leur publication. En tant que directrice de collection, je suis aussi chargée de trouver ces manuscrits qui vont venir agrandir notre collection. Ensuite, le travail éditorial commence : en général, j’effectue trois corrections. La première est un bilan global qui pointe les plus gros problèmes à régler (changer la fin, développer ou supprimer un personnage, ajouter ou supprimer un arc secondaire, ce genre de choses). L’auteur s’en occupe et me remet ensuite cette deuxième version. Là, on passe à de la correction détaillée, on s’attarde sur les détails phrase à phrase et on règle les dernières incohérences. Enfin, la troisième lecture est du peaufinage, pour vérifier qu’on n’a rien loupé. Ensuite, en tant qu’éditrice, je suis aussi chargée de la couverture : je dois trouver le bon illustrateur ou graphiste et gérer ce travail avec lui. Je garde un œil sur la maquette intérieure, également. Enfin, je m’occupe de la quatrième de couverture, du titre et de l’argumentaire à destination des représentants. Souvent, comme je suis directrice de collection, j’assiste aux réunions avec les représentants pour défendre mes titres.

Quelle formation avez-vous suivie pour devenir éditrice ?
Alors j’ai commencé par étudier l’histoire, en réalité. J’ai fait une licence d’histoire, puis un master de recherche en histoire romaine. Seulement, les débouchés en histoire romaine ne m’intéressaient pas particulièrement… J’ai donc postulé à plusieurs masters d’édition sur Paris, et j’ai été reçue au master d’édition papier et numérique de l’UPEM (l’université a changé de nom depuis il me semble).

Vous êtes éditrice indépendante, qu’est-ce que cela signifie?
Cela signifie que je suis à mon propre compte, je ne suis pas salariée d’une maison d’édition. Je travaille donc avec plusieurs maisons d’édition, pour des missions sur du long terme ou de manière plus ponctuelle.

Quelles sont les différences avec une éditrice dite « classique »?
Je suis une éditrice classique, en réalité ! La seule différence, c’est que je ne suis pas salariée et rattachée à une seule maison d’édition, mais le métier reste le même. L’autre différence est peut-être que je prends aussi des missions pour des particuliers.

Selon vous, quels sont les défis inhérents à la position d’éditrice indépendante ?
Comme on l’imagine, la principale difficulté, comme pour tous les freelances, c’est de trouver suffisamment de missions pour vivre décemment. On ne peut jamais se reposer sur ses lauriers ! Il faut toujours construire son réseau, s’ouvrir à de nouvelles opportunités. Surtout au début, où l’on n’a pas forcément d’expériences ou de personnes prêtes à nous recommander. Je n’ai pas eu ce problème, car avant même mon diplôme, des éditeurs m’ont fait confiance. Le fait que je sois spécialisée en littérature young adult de l’imaginaire a joué, car nous ne sommes pas nombreux à connaître vraiment bien ce marché très particulier. L’autre défi, ça peut être d’organiser sa journée, de se ménager des temps de pause, de se garder des jours de repos. Ou au contraire, de ne pas travailler assez parce que l’on a tendance à procrastiner. Moi, c’est plutôt l’inverse, je peux travailler du matin au soir. Pour me déconnecter du boulot, il faut que je quitte la France, sinon j’ai du mal à lâcher !

Quand on pense au monde de l’édition, on a souvent l’image d’un milieu très masculin, âgé et fermé. En tant que jeune femme et éditrice indépendante, ressentez-vous ou avez vous vécu des différences de traitement en comparaison d’autres éditeurs hommes ?
Déjà, je dois préciser que je fréquente les milieux de la littérature jeunesse et de la littérature imaginaire, qui sont bien moins masculins que celui de la littérature blanche adulte. La littérature jeunesse et de l’imaginaire sont bien plus ouverts et jeunes, donc je n’ai jamais eu l’impression qu’il était plus difficile d’être une jeune femme. Je n’ai vécu aucune discrimination liée à mon sexe ou même à mon âge. Au contraire : des éditeurs m’ont immédiatement fait confiance, alors même que je n’avais pas d’expérience. Du coup, moi je n’ai eu aucune difficulté à m’intégrer, à construire mon réseau et à être acceptée. Comme je préfère travailler avec des maisons de taille moyenne, le fait que je sois indépendante les arrange, car ils n’auraient pas forcément les moyens de m’embaucher comme salariée. Je ne dis pas que l’idée d’un milieu masculin, âgé et fermé soit faux : j’ai des échos de la littérature blanche [ndlr : qui ne relève pas de la littérature de genre], où c’est bien moins joyeux qu’en imaginaire ou en jeunesse, et bien plus fidèle à cette image. Notamment à cause des grosses maisons, où l’entresoi règne encore. Je suis donc très bien loin de ce milieu !

Comment choisissez-vous les manuscrits à éditer?
C’est une vaste question ! Chaque éditeur aura une réponse différente. Moi, ce que je cherche avant tout, c’est une pointe d’originalité. Bien sûr : tout a été écrit. Mais les histoires de prophétie et d’orphelin, ça ne m’intéresse pas tellement. C’est vraiment ce que je vais regarder : le concept de l’histoire, et la construction de l’intrigue. J’aime les intrigues complexes et solides, et les fins qui détonent. Je n’aime pas le manichéisme, j’ai tendance à préférer des histoires où rien n’est noir ou blanc. Je cherche des auteurs qui n’ont pas peur d’aller au bout.

De manière plus concrète, j’essaie d’évaluer la balance entre le potentiel et le temps que cela me prendrait pour que ce potentiel ait atteint son maximum. Si cela me demande trop de temps, ce sera un non. Au contraire, si je me dis que le travail est moindre ou que le roman en vaut vraiment le coup, je fonce.

C’est toujours une question d’instinct et de goûts personnels, en réalité. Les éditeurs chercheront tous des qualités différentes, auront une appétence pour un genre en particulier. Par contre, je suis persuadée que tout bon manuscrit trouvera preneur.

Vous êtes également à la gestion de collection dans plusieurs maisons d’édition. En quoi consiste votre rôle?
La différence avec un éditeur classique, c’est que je dois apporter des romans à cette collection, en plus de devoir travailler sur ces romans. Je contacte des auteurs que j’apprécie, je cherche des manuscrits sur des forums d’écriture, je fais des speed-editing organisés par des salons. Mon rôle, c’est de former un tout cohérent, de créer une ligne éditoriale claire et identifiable.

Pourquoi la littérature young adult? Pouvez-vous définir ce terme?
C’est une question épineuse. Tous les éditeurs ne sont pas d’accord sur la question – comme les libraires ou les lecteurs, d’ailleurs. Chacun a sa propre définition. Je pourrais m’étaler sur des pages ! Toutefois, pour moi, le young adult est une tranche d’âge, une littérature qui vise un public entre quinze et vingt-cinq ans, le passage de l’adolescence à l’âge adulte – d’où son nom. Le young adult peut être de n’importe quel genre : romance, fantasy, policier, contemporain. Souvent, le young adult est méprisé, car il est vu comme une littérature facile, un style d’écriture pauvre, une romance trop présente, une intrigue simpliste : tout ceci ne sont que des préjugés sans fondement. Il y a certes de mauvais romans de young adult, comme dans tous les genres, mais cela ne le définit pas.

Comment avez-vous vécu la crise du COVID? A-t-elle impacté votre travail?
Comme je travaillais déjà de chez moi en télétravail, le COVID n’a rien changé à mes habitudes de travail. J’ai continué à travailler normalement. La seule différence, c’est que beaucoup de sorties ont été repoussées, donc plusieurs romans sur lesquels j’avais travaillé sont sortis en même temps. Mais en édition, on travaille plusieurs mois en amont, donc ça n’a pas bouleversé mon planning.

Sur votre site, on peut trouver un onglet « Prestations ». Vous proposez des packs pour guider les jeunes auteurs vers l’édition. En quoi cela consiste-t-il? 
Je reçois souvent des manuscrits avec du potentiel, mais demandant trop de travail pour être signés. Ils ne sont pas assez aboutis. En tant qu’éditrice indépendante, je me suis dit qu’il serait intéressant de mettre mon expérience et mes compétences au service de ces auteurs en devenir, à qui il ne manquait pas grand-chose pour être signé. L’idée, c’est donc de proposer des prestations afin de cibler leurs faiblesses, pour qu’ils puissent travailler dessus avant l’envoi en maison d’édition. Le but c’est vraiment qu’ils mettent toutes les chances de leur côté pour signer leur manuscrit sans recevoir de multiples non.

Un conseil pour les étudiants qui nous lisent et voudraient devenir éditeur?
Tout d’abord, ne vous découragez pas : contrairement à ce que l’on entend souvent dire, ce milieu n’est pas si fermé qu’il n’y paraît. Je vois ce milieu évoluer, et j’en suis certaine : ce sont les jeunes éditeurs qui vont bouger les choses.

Ensuite, je vous conseille vivement de vous rendre en salons le plus souvent possible : c’est là que les rencontrent se font.

Pour terminer, vous êtes actuellement en pleine rédaction de votre propre roman. Pouvez-vous nous en dire plus? Quand pourrons-nous le lire?
Alors, mon premier roman est terminé et déjà entre les mains de son éditeur, je suis actuellement en train d’écrire le tome 2, en réalité ! Le premier tome sortira le 11 mai, si tout va bien, chez Hachette Romans !

C’est un roman qui parle de deuil, de mortalité, de reconstruction aussi. On suit une jeune fille dont toute la famille est morte et qui est prête à tout pour les ressusciter. Y compris à passer un pacte avec un dieu dont elle ignore les véritables desseins.

Je ne peux pas encore en dire plus, mais j’ai vraiment hâte qu’il soit entre les mains de ses lecteurs !

Merci pour le moment que vous nous avez accordé. Nous vous souhaitons le meilleur pour vos projets d’édition et d’écriture!

Depuis notre entretien, Bleuenn Guillou a annoncé la date de sortie de son roman. Le Tribut des dieux sera disponible le 11 mai prochain dans vos librairies, alors foncez!

Pour retrouver Bleuenn Guillou.

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