Karin et Carl Larsson, inspirateurs de l’intérieur idéal suédois

   

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En ces temps singuliers de pandémie et de confinement, nos intérieurs ont pris une plus grande importance dans notre vie, qu’on le veuille ou non. Comme nous sommes obligés, pour la plupart d’entre nous, de travailler à domicile et d’y vivre en principe du matin au soir, notre intérieur est devenu notre principal environnement.

Pour ceux d’entre nous qui sont sensibles à leur environnement immédiat, il est important de garder un logis agréable à vivre. il semble effectivement que ce soit un objectif, car en France par exemple, la vente des articles nécessaires au bricolage et à la rénovation des intérieurs a nettement augmenté pendant la pandémie. De même, en Suède, les statistiques pour l’année 2020 montrent que la part de la consommation destinée au foyer a augmenté d’une façon significative dans le budget des ménages.

Cependant, même en temps normal, le foyer a une importance primordiale pour les Suédois. Ils passent beaucoup de temps à aménager leur logis, rénover, meubler, décorer, et mettent un point d’honneur à perfectionner leur foyer. On pourrait penser que l’intérieur est particulièrement important dans les pays du Nord parce que les hivers y sont longs et que l’on a besoin de passer de nombreux mois au chaud. Mais cela n’explique pas tout. En particulier, cela n’est pas nécessairement à l’origine du style de l’aménagement en Suède, que l’on a l’habitude d’appeler « design suédois »

Carl Larsson, Lathörnet, (Coin Douillet), 1894

L’histoire du design suédois et celle de l’État providence suédois moderne sont souvent mises en relation. À la fin du XIXème siècle se répand à travers l’Europe un mouvement romantique dans les arts, la littérature et l’architecture qui s’exprime de façon diverse suivant les pays. En Suède, on associe alors la « beauté » au « foyer » et on développe cette idée dans un esprit de justice sociale. De plus, le design suédois est né d’un romantisme national promouvant une vision moderniste du monde qui exalte le changement. Dans ce contexte, Ellen Key (1847-1926) joue un grand rôle. Si l’on se souvient aujourd’hui de cette intellectuelle, c’est surtout pour ses idées novatrices sur la pédagogie et à l’entrée des femmes en politique. Elle plaide aussi vivement pour une réforme sociale de la Suède et publie en 1899 le livre, Skönhet för alla (La Beauté pour tous), dont le titre deviendra une sorte de slogan pour les artistes et les designers suédois.  » Ce n’est que lorsqu’il n’y aura plus rien de laid à acheter, lorsque le beau sera aussi peu coûteux que le laid l’est aujourd’hui, que la beauté pour tous pourra devenir une réalité à part entière », écrit-t-elle.

Le style de la maison de Karin et Carl Larsson devient pour Key un exemple à donner du foyer parfait. Un objet doit alors non seulement être beau, mais aussi simple de forme et facile à utiliser. Les objets utiles pour la vie de tous les jours peuvent selon Key, améliorer la vie de tout un chacun. Cette thèse associée au succès populaire que rencontre alors le couple Larsson ; Carl pour ces peintures et Karin pour sa décoration intérieure, transforme le foyer un lieu privilégié d’action sociale.

Carl Larsson, Blomsterfönstret, 1894

Ces idées sont reprises après la Première guerre mondiale par les architectes, en particulier Uno Åhrén, qui développe le « fonctionnalisme » pour la réalisation de logements simples mais fonctionnels, et par la politique du parti socio-démocrate suédois des travailleurs dirigé par Per Albin Hansson. Ce dernier lance en 1928 le concept de Folkhemmet (« la Maison du Peuple ») qui introduit l’idée que chacun peut prétendre à un logement agréable. La plupart des reformes sociales pour le « bien-être » des citoyens suédois entre 1930 et 1950 sont réalisées grâce à des accords entre les partis dirigeants. Les idées de l’architecture fonctionnaliste jouent un rôle central. Les hygieniska bostäder (« logis hygiénique ») naissent d’une réaction à une controverse nationale sur les logis malsains et serrés des citoyens les plus pauvres. Dans les années 1940-1950, l’ameublement et la décoration d’intérieur sont toujours censés refléter le niveau d’éducation esthétique de la population. Pour Ellen Key, l’éducation au goût doit suivre des caractéristiques plus faciles à mesurer, comme la fonctionnalité d’un objet.

Une maison chérie de tous les Suédois

Le peintre Carl et sa femme Karin Larsson emménagent dans la maison Lilla Hyttnäs à Sundborn dans la province de Dalarna en 1888. Karin suit aussi des études de peinture aux Beaux-Arts de Stockholm et dans des écoles françaises. Mais elle abandonne la peinture dès son mariage avec Carl en 1883 afin de se consacrer à ses enfants, au foyer at à son aménagement. Elle y met toute son âme et ses competences d’artiste et de coloriste. Elle est d’une grande adresse et maîtrise aussi bien la menuiserie que la broderie, la tapisserie, la décoration murale et la couture. Elle fait alors de la maison de Sundborn, mais aussi du jardin où les parterres de fleurs embellissent la vie au grand air quand arrivent les beaux jours, une œuvre d’art. Des fleurs fraîches ornent constamment les chambres de la maison. Pour ses parterres de fleurs, elle s’inspire de Grez-sur-Loing en Seine-et-Marne, où Karin et Carl ont habité avant de revenir en Suède. La maison et le jardin de Sundborn accueillent aujourd’hui plus de 60 000 visiteurs par an.

Ett hem (« Un foyer ») publié en 1899 est le plus connu des livres de Carl Larsson. Il exercera une grande influence sur le logis suédois et l’esthétique suédoise. Ett hem comprend vingt-quatre aquarelles de la maison et du jardin, et de la vie de famille qu’ils accueillent. Dans sa préface, Carl Larsson présente le but de cet ouvrage : offrir un modèle d’aménagement du logis. Le livre connaît un immense succès grâce aux images d’intérieurs où ce mélange de tradition artisanale suédoise, style art nouveau à la mode à cette époque dans toute l’Europe, et romantisme champêtre produit une esthétique qui flatte l’œil. Lilla Hyttnäs est devenu une maison chérie de tous les Suédois, et les peintures comme les illustrations de Carl Larsson sont encore aujourd’hui identifiables en un clin d’œil. Pendant des générations, ces œuvres influenceront le goût national en ce qui concerne la déco et créer un type de quotidien agréable et harmonieux.

Carl Larsson, När barnen lagt sig, 1894

Tout le monde peut librement admirer les aquarelles et les dessins de Ett hem sur Litteraturbanken. se, un site internet rassemblant des livres suédois tombés dans le domaine public.

Encore aujourd’hui on retrouve la maison de Carl et Karin Larsson dans les intérieurs suédois, peut-être sans que les gens eux-mêmes s’en rendent compte. Pour ne citer qu’un exemple, on peut comparer les illustrations de Carl Larsson et les photos d’intérieurs publiées par Elsa Billgren, une des plus grandes blogueuse suédoises. La ressemblance est frappante.

La déco d’Elsa Billgren

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